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L’accès aux soins non programmés : état et perspectives

Publié le 14/12/2010
Tags : Exercice Pro Informations générales Document
Marc GIROUD, président de Samu-Urgences de France

La régulation médicale et la réponse aux demandes de soins non programmés
Introduite il y a une trentaine d’années, la régulation médicale (acte médical pratiqué au téléphone par un médecin exerçant au sein d’une structure spécifique, généralement le Samu-centre 15) représente un outil de progrès médical et d’égalité sociale.

Le médecin régulateur, selon l’appréciation qu’il fait du cas, délivre des conseils, oriente le patient vers les permanences libérales, vers les urgences, envoie le SMUR, prépare l’accueil du patient dans la structure la mieux adaptée….

La plus-value directe de la régulation médicale est de dispenser au patient - et dans son propre intérêt - le « juste soin ». En outre et de façon indirecte, la régulation médicale contribue à l’optimisation de l’emploi des ressources collectives.

De très nombreux généralistes libéraux participent à la régulation médicale aux côtés des urgentistes au sein des Samu-Centres 15 (généralement la nuit, les dimanches et jours fériés) ; ce qui est en soi un formidable succès. L’expertise des régulateurs généralistes est plus adaptée que celle des urgentistes pour donner certains conseils. Le public recourant de plus en plus au 15 pour des « urgences ressenties », les médecins régulateurs généralistes des Samu-centres 15 délivreront de plus en plus de conseils (la moitié des appels en dehors des heures ouvrables se soldent déjà par un conseil) et ils prescriront de plus en plus souvent certains médicaments par téléphone (pratique à présent codifié par la HAS).

Il faudra donc une participation accrue des généralistes à la régulation médicale. Il faudra aussi trouver un statut spécifique pour conforter ces généralistes dans cette mission essentielle à l’efficacité de la régulation médicale et à l’équilibre ville-hôpital.

Le partenariat ville-hôpital dans le cadre de l’urgence
Il n’y aurait que des avantages à ce que les médecins traitants anticipent davantage les situations d’urgence par des conseils à leurs patients et des fiches de liaison (ex : pour les personnes âgées en Ehpad ou les situations de fin de vie à domicile).

Une structuration de l’entraide entre médecins traitants s’impose, afin que les patients sachent qui appeler le jour de repos de leur médecin, pendant les congés, les ponts, au cœur de l’été, ou entre les fêtes de fin d’année. Sans avoir, par défaut, l’appel au 15 comme seule ressource.

Enfin, le Dossier médical personnel (DMP) jouera un rôle pivot en informant le médecin régulateur des antécédents du patient, ce qui sera un facteur majeur de progrès dans de très nombreuses situations (ex :personnes âgées polypathologiques). En retour, le médecin régulateur, à travers le DMP, informera le médecin traitant de l’appel au 15 de son patient.

Les urgences hospitalières
Il y aura de plus en plus de passages aux urgences hospitalières, et ceci pour deux raisons : d’abord et principalement du fait de la confiance du public dans ces services ; ensuite du fait de la difficulté croissante à trouver un généraliste disponible.

Il faudrait, pour la structure des urgences, réfléchir à une organisation à deux entrées : l’une pour les « malades debout » qui s’y rendent spontanément, l’autre pour les « malades couchés », qui seront de plus en plus « régulés » par le Samu-centre 15. Dans cette logique, les maisons médicales de garde (qui sont aujourd’hui, le plus souvent, installées juste à la porte de l’hôpital) devraient pouvoir être intégrées au sein des urgences, avec, là aussi, un statut spécifique à trouver pour les généralistes qui y exercent. Une telle intégration permettrait une meilleure fluidité entre les deux composantes, certainement une meilleure qualité-sécurité des soins... et sans doute aussi une économie globale.

Parallèlement, l’accès, après régulation médicale, à des filières spécifiques de prise en charge en urgence devrait se développer, à l’instar de ce qui se fait pour l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux ; ce qui devrait limiter les passages aux urgences.

L’hospitalisation à domicile
L’accès à l’HAD en urgence devrait, dans certains cas particuliers, être possible, après régulation médicale par le Samu-centre 15, sans passage préalable par un établissement de santé ; cet accès direct serait notamment privilégié pour des patients souffrant de pathologies chroniques et déjà connus des services d’HAD.

Les urgences de proximité pour les patients isolés
La question la plus délicate à court-moyen terme est celle de la réponse dite de proximité pour les patients isolés. L’objectif étant de garantir la qualité et la sécurité de l’accès aux soins d’urgence sur l’ensemble du territoire, en limitant au maximum les inégalités.

La pratique de l’urgence médicale nécessite une expérience clinique solide et continue ; ce qui ne peut se concevoir que dans de grands centres. Pour cette raison, il ne saurait y avoir de pratique qu’au sein d’une équipe médicale fédérée autour d’un grand centre, avec, le cas échéant, des antennes en secteur isolé ; seule une fédération territoriale est, en effet, de nature à permettre, par rotation des urgentistes, l’expérience clinique et l’environnement intellectuel nécessaires.

La disparition en 2006 des Upatou a laissé un vide conceptuel. L’unité d’urgence de proximité en territoire isolé nécessiterait aujourd’hui une réflexion approfondie.

Il faut bien distinguer, d’une part, l’intérêt qu’il peut y avoir à offrir le maximum de services répondant aux attentes des populations isolées et, d’autre part, l’impérieuse nécessité de prendre en charge les urgences lourdes par le moyen d’un Smur, en secteur isolé comme en ville, ce qui est un objectif essentiel et incontournable d’égalité face au risque vital.

Le patient se présentant de lui-même dans une structure d’urgence de proximité doit être considéré comme entrant dans un « réseau », et
non pas dans un « établissement ». Avec, pour l’établissement de référence, une obligation d’accueil en relais du centre de proximité, chaque fois que cela s’avère nécessaire. Avec aussi le principe d’un « retour rapide » (en 24 ou 48h) vers l’établissement de proximité, dès le passage du cap critique dans l’établissement de référence.

Pour structurer un réseau territorial, il convient donc de prévoir l’implantation de Smur partout où cela est nécessaire pour garantir un accès du Smur auprès du patient en 20mn maximum. Il convient aussi d’implanter des hélicoptères, tout en ne les considérant pas comme une panacée (compte tenu des limites techniques à leur emploi). Il convient, enfin, de bien intégrer que « proximité des structures » ne rime pas avec « qualité et sécurité des soins » et que, dès lors, la création d’un service de proximité doit être conçue dans le cadre d’un réseau faisant une large place à la régulation médicale, afin que l’offre de proximité ne s’avère pas, paradoxalement, un obstacle à l’accès aux soins les plus performants.

La pratique de l’urgence de proximité ne doit en rien être une pratique « dégradée ». Ainsi, les indications d’emploi du Smur doivent-elles être non pas inférieures, mais au contraire supérieures en milieu isolé par rapport à ce qu’elles sont en ville. Plus le patient est loin, plus le Smur doit être déclenché vite (et surtout pas l’inverse !), les pompiers (ainsi éventuellement que le médecin correspondant du Samu) devant être déclenchés simultanément.

De façon complémentaire (et nécessairement limitée), le Smur peut occasionnellement pratiquer des visites en cas d’impossibilité à mobiliser un généraliste en milieu rural (ex: pour une personne âgée maintenue à domicile ou une fin de vie).

Enfin, l’aménagement du territoire de santé doit se faire en s’affranchissant des fausses bonnes idées qui se multiplient, telles que :.
-    les alternatives au Smur (alors que la seule solution efficace et égalitaire repose sur une parfaite couverture en Smur du territoire et un large emploi des Smur) ;.
-    la « réponse graduée », qui s’avère être, en fait, une réponse dégradée, reposant sur le principe de l’envoi successif d’un premier intervenant secouriste ou infirmier, puis, seulement si nécessaire, de l’envoi d’un Smur (ce qui constitue assurément la meilleure façon d’allonger les délais et de majorer les inégalités !) ;.
-    la mutualisation des urgences consistant à faire faire au même médecin à la fois l’accueil des urgences et les interventions en Smur (ce qui s’avère incompatible) ;.
-    la prime à l’installation, en secteur peu attractif, des médecins hospitaliers sous la forme d’astreintes de PDSH… ce qui aboutit à des non-sens sur le plan de l’organisation territoriale et à des risques inacceptables dans la prise en charge des patients.

le transfert de tâches à des soignants
Le diagnostic médical ne saurait être délégué. Ceci encore moins en situation d’urgence, où la prise en charge du patient passe par un diagnostic dont l’élaboration, généralement complexe, nécessite une grande expertise médicale (même dans les situations en apparence stéréotypées, mais souvent trompeuses).

En revanche, certains actes pourraient faire l’objet d’une réflexion-expérimentation en vue de leur transfert à des infirmiers dûment formés ; comme, par exemple, la réalisation de sutures simples, après examen par le médecin.

La télémédecine
La télémédecine est une réalité quotidienne à travers la régulation médicale délivrée par le Samu-centres 15. Son développement permettra non seulement une meilleure prise en charge des patients isolés, mais également une sécurisation du maintien à domicile d’un nombre croissant de patients, y compris en milieu urbain. Ce sera sans doute-là l’une des perspectives les plus novatrices des prochaines années, en lien avec l’HAD et le DMP.

Les indicateurs
Des indicateurs sont nécessaires ; encore faut-il qu’ils soient pertinents. Ce qui n’est certainement pas le cas de l’indicateur imposé dans le cadre de la « modernisation de l’État » ; en effet le « pourcentage de passages aux urgences en moins de 4 heures » recouvre des réalités médicales trop différentes pour avoir du sens ; en outre, un tel indicateur ne pourra qu’inciter à une attitude consumériste à l’égard des services d’urgence ; attitude qu’il conviendrait, tout au contraire, de contrecarrer.

Le Conseil national de l’urgence hospitalière, de façon plus réfléchie, propose notamment les indicateurs suivants : nombres d’intervention du Smur au-delà de 20mn après l’appel au 15 ; délais de prise en charge aux urgences par pathologies ; nombre cumulé de brancards aux urgences à 7h du matin ; nombre cumulé de séjours en UHCD dépassant 24h ; nombre de cas de rappel au Samu-centre 15, de réintervention du Smur ou de retour aux urgences dans les 24h.

Conclusion : deux préoccupations majeures
Ces évolutions, pour être profitables, devront être bien conduites. A cet égard, la dispersion des centres de décision et la volonté d’autonomie des ARS, comme leur naturelle tendance à l’originalité, risquent fort d’aboutir à une déconstruction des politiques nationales et, finalement, à de profondes et inutiles disparités.

Enfin, la médecine d’urgence aura besoin d’urgentistes. Or, si rien n’est fait pour améliorer rapidement l’attractivité de cette profession, nous risquons de nous retrouver dans quelques années face à d’insurmontables difficultés. Il y a donc là une grand chantier à ouvrir… d’urgence.
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