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Les plateformes communes 15-18 : solution optimale ou erreur grave ?

Publié le 15/05/2008
Tags : Exercice Pro Organisation Document
Dr François DISSAIT
SAMU 63, CHU, hospital Saint-Jacques,
58 rue Montalembert, BP 69-
F-63003 Clermont-Ferrand cedex 1.

article publié dans la Revue des Samu (Mai 2008)

La tension renouvelée entre les SAMU et les Sapeurs-Pompiers a remis en avant comme solution possible la réunion de ces deux services dans des sites uniques où sont reçus ensemble les appels 15 et 18. Un certain nombre de sites fonctionnent ainsi, le plus ancien étant celui basé au CHU de Clermont-Ferrand (63), créé en 1997. SAMU de France a depuis tenu un important séminaire à ce sujet à Reims. L’analyse qu’on pouvait en avoir à l’époque doit maintenant prendre en compte divers éléments nouveaux :
  • L’évolution de la permanence des soins vient renforcer la notion essentielle de la régulation médicale, qui n’est pas contradictoire, bien au contraire, avec une réponse intelligente et efficace à l’urgence.
  • La spécialité de Médecine d’Urgence en train de se structurer associe côte à côte et de manière non clivable médecine de régulation, réanimation préhospitalière et accueil hospitalier des urgences.
  • Le bilan des plateformes existantes est assez mitigé pour montrer que cette forme de réponse mono site n’est pas une panacée.
Il me paraît donc intéressant de revisiter cette première expérience à la lumière des éléments nouveaux décrits ci-dessus, pour essayer de contribuer de manière constructive au débat actuel.

HISTORIQUE

Le 1er juin 1990 ouvrait à Clermont-Ferrand le premier centre unique de réception du 15 et du 18, autrement appelé "SAMU-CODIS du Puy-de-Dôme". Cette réalisation est la bienvenue dans la mesure où ni le SAMU ni le SDIS ne disposaient de locaux décents. Le programme unique a d’abord été un moyen d’obtenir les locaux indispensables au fonctionnement des deux structures.

La coopération, notamment dans le domaine du secours routier, des pompiers et des médecins du SAMU 63 se concrétisait par l’implantation dans l’enceinte du CHU d’un bâtiment regroupant le SMUR de Clermont-Ferrand, le CESU, le CRRA et le CTA CODIS du Puy-de-Dôme. Dans le même temps, le 15 est activé dans le département et le 18, qui était reçu dans 60 centres de secours est centralisé.

En fait, en raison d’une très forte opposition du corps urbain de Clermont, en désaccord avec le directeur départemental du SDIS, la centralisation du 18 se fait sur deux sites, l’un Clermontois (UTA2) reçoit les appels de l’agglo-mération clermontoise (250 000 habitants) dans une caserne sans lien avec le SAMU quand l’autre, départemental (UTA1) reçoit les appels du reste du département dans une salle commune avec le SAMU (350 000 habitants). La centralisation des appels 18 nécessitera une pédagogie particulière auprès des Sapeurs-Pompiers volontaires, peu enclins à ce début de départementalisation. Pour assurer le recrutement de ses stationnaires et chefs de salle, le SDIS a mis en place une procédure de recrutement spécifique et surtout une formation adaptée à laquelle sont conviés les agents hospitaliers. En effet il est prévu que stationnaires et permanenciers soient capables de répondre à tout type d’appels 15 ou 18.

Le CRRA est implanté dans un bâtiment voisin du bâtiment principal du CHU et comporte une vaste salle où travaillent côte à côte 3 stationnaires et 2 Permanenciers. À la périphérie de cette salle sont disposés les bureaux des décideurs, officiers SP, chef de salle SP, médecins régulateurs.
Chacun de ces bureaux est suffisamment bien isolé pour permettre un entretien singulier avec le demandeur en toute confidentialité.

La supervision des postes téléphoniques permet de même de contrôler la présence ou non d’un tiers qui ne peut s’inclure dans le dialogue (conversation à trois) sans que sa présence soit clairement visible et identifiée. Un grand nombre de boxes avec cabines téléphoniques permettent la montée en charge de la réponse aux appels par la procédure de "débordement" à laquelle participent ensemble les personnels des deux structures.

LE MATÉRIEL EST COMMUN AUX DEUX STRUCTURES

Un seul autocommutateur téléphonique reçoit et répartit les communications sur les opérateurs 15 et 18, les communications sont enregistrées sur un seul appareil qui comporte une platine 15 et une platine 18. Les enregistrements de chaque service sont en accès sécurisé et spécifique, ceux communs aux deux services, issus par exemple d’une conférence à trois figurent sur les deux enregistreurs. Par contre la reconstitution d’un dialogue initié sur le 18 et poursuivi sur le 15 nécessite l’écoute des deux enregistreurs, la reconstitution globale d’une "affaire" s’en trouve singulièrement compliquée. L’installation radio répartit les messages sur un ensemble de stations de travail pour chacun des décideurs ou opérateurs.

Le SDIS souhaitait l’utilisation d’un seul logiciel, malheureusement celui-ci, orienté traitement de l’alerte incendie et accident, ne prend aucunement en compte les besoins de la régulation médicale. Chaque service dispose d’un logiciel spécifique pour le traitement des appels et le suivi des interventions. Les deux logiciels sont interfacés en sorte de transférer les données selon un protocole d’échange d’informations paramétrées. Les opérateurs n’ont pas besoin de ressaisir les informations communes à propos d’un appel. Cette interface, bien qu’incomplète, donne satisfaction.

Une convention fixe les grandes règles financières du partenariat entre les deux administrations : SDIS et CHU. Chaque service élabore ses protocoles fonctionnels. Un règlement intérieur sera élaboré entre les responsables des deux services, mais ne pourra être validé par l’état-major du SDIS et aucun document commun ne sera adopté pour cadrer cette activité commune.

SCHÉMA DE PRINCIPE ET FONCTIONNEMENT

L’objectif général est le traitement conjoint des appels 15 et 18 avec régulation de tous les appels par le médecin du SAMU et médicalisation rapide si nécessaire. Les appels 15 sont reçus par un PARM, saisis sur informatique et transmis au régulateur pour analyse et décision.

Les appels 18 sont reçus par un stationnaire pompier qui déclenche un secours immédiat si nécessaire puis transmet l’appel - dans le cas de secours à personne - au médecin régulateur pour analyse et décision de médicalisation si nécessaire. Les appels médicaux et les appels à domicile sont transmis au régulateur sans envoi de moyen de premiers secours. Les appels de l’agglomération clermontoise sont reçus par des stationnaires basés au Centre de Secours Principal de Clermont-Ferrand, distinct de la structure commune, mais ont ensuite le même traitement de régulation, le logiciel de traitement de l’alerte étant commun aux deux CTA.

Les appels 15 sont reçus par les permanenciers selon les procédures classiques dans les SAMU, avec régulation médicale. Les médecins généralistes sont associés depuis 1985 à la régulation pour la garde médicale.

Une "passerelle" informatique assure le transfert des informations entre les logiciels du 15 et du 18 en sorte d’éviter une partie de saisie redondante lors du transfert d’information entre les deux structures. Toutefois aucune base de données, références comprises, n’est commune aux deux services et les mises à jour doivent être bilatérales et synchrones : les SP n’ont pas souhaité intégrer la complexité des informations nécessaires au SAMU dans leurs propres bases de données (ambulanciers privés, médecins généralistes et autres professionnels de santé).

PARM ou stationnaires sont tous capables de traiter un appel 15 et 18 de manière satisfaisante, les stationnaires ont été recrutés à l’ouverture de la structure et ont bénéficié d’une formation initiale adaptée, à laquelle a participé le SAMU-CESU. Les PARM ont été conviés à la partie "incendie" de cette formation. En cas de surcharge d’une structure, le transfert des appels se fait automatiquement vers l’autre en fonction du délai prévisible de réponse, et la procédure de traitement étant uniformisée, ce transfert n’est pas sensible pour l’usager. Par cette méthode, l’effectif d’opérateurs affectés à la réponse s’adapte spontanément.

En cas de crise avec appels très nombreux, les appels 15 ou 18, voire les deux, sont transférés sur des cabines de débordement.

L’ensemble du personnel, y compris du SMUR et du CESU peut répondre sur ces cabines avec une "procédure dégradée" de réponse utilisant des procé-dures "papier" de collationnement, de tri et d’analyse. Ce dispositif sera utilisé avec efficacité lors de certains accidents collectifs, notamment les tempêtes de la fin d’année 1999.

L’information rapide, simultanée en fait, du 18 et du médecin régulateur permet dans les cas graves une médicalisation sans délai par le SMUR ou un médecin SP. Les éventuels besoins de renforts sont largement anticipés et surtout le "prompt secours" sur simple décision d’un stationnaire laisse la place à une organisation plus médicalisée de la décision, qui sans retarder l’envoi d’un secours de proximité, permet en plus conseil médical et médicalisation de l’intervention en une seule fois. La cohérence de décision est garantie par une régulation en temps réel. Enfin la répartition du transport entre les VSAB et les ambulanciers est décidée par le régulateur qui en assure l’application au mieux des intérêts du malade.

LA MISE EN OEUVRE INITIALE ET SON ÉVOLUTION (1990-2007)

Elle sera marquée par la forte volonté de réussite des deux promoteurs du projet. La formation commune des personnels 15 et 18 a favorisé la connaissance commune des tâches de chacun et incite au respect mutuel, voire à l’amitié. L’objectif est de manière évidente la meilleure qualité possible de traitement des urgences. En cas de dysfonctionnement, une analyse commune est réalisée, ainsi que la proposition de mesures correctrices. L’objectif qualité est prépondérant à cette phase.

Toutefois on s’aperçoit rapidement d’une différence dans l’application du principe de régulation entre les deux sites 18, qui plaide pour l’efficacité du site unique. Les stationnaires du CSP de Clermont, distants de la régulation du SAMU en perdent vite la notion et le nombre d’appels non régulés à partir de ce CTA distant va croître rapidement. On aura à terme 80 % d’appels régulés selon la procédure au CTA-CODIS-SAMU contre 30 % au CTA isolé au CSP.

La procédure de réponse aux appels va donc devenir différente selon le lieu de réception du 18 et l’efficacité de la structure unique basée dès lors uniquement sur l’avantage relatif - du matériel unique et du lien informatique entre les deux logiciels de traitement de l’appel. Il est à noter que cette évolution est due à la résistance de l’encadrement du CSP à l’idée de départementalisation et de partenariat avec le SAMU, contraire à ses convictions syndicales et fédérales.

De 1990 à 2000, le CTA-CODIS-SAMU conservera toutefois un fonctionnement satisfaisant dans sa structure intégrée, malgré le remplacement progressif des stationnaires et chefs de salle, quittant ces fonctions pour une carrière classique de Sapeur-Pompier professionnel. Le remplacement se fait sans la formation initiale décrite plus haute, impossible à une telle cadence de renouvellement des personnels. À noter aussi la succession rapide d’officiers responsables de la structure, dont les points de vue personnels ne garantissent pas une continuité dans la doctrine. Des fonctionnalités sont rajoutées par les SP comme la téléassistance, alors que des postes essentiels ne sont pas pourvus, comme celui d’opérateur radio SP, dont l’absence explique une pollution sonore, réelle cacophonie liée à l’usage incontrôlé des pupitres par l’ensemble des opérateurs, rapidement insoutenable dans la vaste salle commune.

Aucune formation conjointe analogue à celle initialement réalisée n’ayant pu être mise en place, le remplacement progressif des personnels ne permet pas la persistance de la culture commune initialement mise en place. Aucun document de protocoles communs n’ayant été réalisé, les pratiques deviennent improvisées, variables selon les stationnaires. L’objection apportée à l’adoption d’un tel document était la crainte de le voir servir contre le CODIS et ses stationnaires en cas de contentieux. Le vide serait-il plus sécurisant ?

Malgré tout, en 2000, devant l’accroissement des appels et des missions, la nécessité d’agrandir la structure se fait sentir. Le CHU consentira à cet investissement, l’aspect bâtimentaire étant de sa responsabilité. Un budget de 8 millions de francs est consacré à cette extension dont les Sapeurs-Pompiers seront les principaux bénéficiaires. C’est à cette occasion qu’une cloison va séparer en deux la salle des opérateurs pour atténuer le bruit des radios (et de la télévision !) qui empêchent le travail des PARM, de plus en plus chargés par la permanence des soins.

La construction s’accompagne d’un renouvellement des matériels de communication et de traitement de l’information qui corres-pondent au cahier des charges d’un "call-center", le choix technique des Sapeurs-Pompiers est appliqué à l’ensemble de la structure.

Pourtant aucun protocole ne vient cadrer sa mise en oeuvre malgré la demande insistante du médecin du SAMU. Le partenariat devient déséquilibré au détriment du SAMU.

Rapidement pour la hiérarchie des Sapeurs-Pompiers la structure n’est pas "placée là où il faut". En effet la seule solution souhaitée, malgré les investissements récents est un CODIS-SAMU basé à la direction des services d’incendie. Désormais une critique systématique de la structure sera faite. Les personnels, stationnaires surtout seront dénigrés et culpabilisés.

La promotion de la mobilité chez les Sapeurs-Pompiers, érigée en principe qui conditionne la carrière va entraîner le changement systématique des stationnaires au terme de trois années. Il en sera de même des chefs de salle.

Après deux tours de mutation, plus aucun stationnaire ni chef de salle n’a pu avoir de formation spéci-fique en vue de sa collaboration à la structure commune. Le TRS2 leur sert de formation, dans laquelle le médecin chef du SAMU fait un exposé d’une heure ! L’expertise dans la gestion opérationnelle, la maintenance des matériels, l’exploitation statistique des données disparaît totalement, remplacée par le recours erratique à une maintenance distante et non concernée par des objectifs opérationnels permanents. Comme un sous-marin russe à l’abandon, la structure se dégrade lentement mais sûrement. Toute culture commune fait place aux référentiels propres aux services.

Survient la permanence des soins, dont les conséquences en terme de volume d’appels dominicaux sont rapidement très importantes. Les appels "débordent" donc sur les postes des stationnaires Sapeurs-Pompiers. Le débordement des appels sur des postes 18 pourrait être un renfort appréciable pour les PARM dont la file d’attente téléphonique s’allonge parfois dangereusement et se mesure en dizaines de minutes. Il n’en est rien. Les stationnaires sont forts mécontents et les chefs de salle protestent contre cette irruption de "la médecine générale".

Il est vrai que le propos de 1990 était de faire face aux urgences réelles et non à la PDS. Personne ne souhaite de surcroît voir se créer une file d’attente sur le 18 avec plusieurs minutes d’attente pour des appels au secours.

Enfin, faute d’une formation adéquate, le traitement des appels de PDS ne répond en rien aux objectifs de qualité et de sécurité appliqués par le 15. Il est donc décidé de supprimer le débordement du 15 sur le 18.

C’est la fin de la solidarité et de la polyvalence qui étaient des idées force du projet initial.

Ne subsiste donc qu’une cohabitation subie sans réel bénéfice pour les malades et victimes, toujours sans règlement en dehors de la convention tripartite, imposée dans une forme sur mesures par une circulaire Intérieur-Santé, où le Ministère de la Santé a largement eu le dessous.
Finalement le SDIS a eu recours à l’outil bien connu de l’audit pour faire prononcer par une société extérieure missionnée sur le sujet, que la structure unique nuisait au développement du SDIS et qu’il fallait envisager de replacer le CODIS à la direction.

Le Conseil d’Administration du SDIS reçoit cette information en séance à la grande surprise des élus, porteurs du projet de site unique ! Cette tendance ne sera pas développée plus loin, un nouveau directeur prenant le contrepied de la position précédente, ce qui montre le caractère personnel et aléatoire des politiques départementales des SDIS, placés dans un cadre décentralisé à la différence d’une politique régionale et nationale de santé.

AUCUNE CONVERGENCE N’EST POSSIBLE

La synergie n’est pas possible en raison de plusieurs obstacles rédhibitoires.
  1. La formation et les conditions d’intervention des personnels des deux structures sont radicalement différentes, voire opposées. Elles reposent sur des cultures différentes.
     
  2. Le dispositif sanitaire français est basé sur les valeurs humanistes centrées sur le malade, protégé par le secret médical. La hiérarchie est basée sur la reconnaissance des compétences. La carrière dans la fonction publique hospitalière est fondée sur l’accroissement progressif des connaissances. La valorisation de l’expérience acquise au sein d’une équipe est importante. L’évaluation des pratiques est consubstantielle d’une volonté d’amélioration continue de la qualité basée sur l’analyse critique des procédures et des pratiques professionnelles. L’organisation de la réponse aux urgences est avant tout basée sur la recherche du moyen adapté et du meilleur bénéfice médical apporté dans les délais les plus rapides possibles, en projetant un parcours de soins complet et adapté. Le dispositif de secours est plutôt centré sur la discipline propre au Ministère de l’Intérieur. La réponse aux appels est essentiellement réflexe, ne nécessite que peu d’informa-tions, et privilégie la vitesse de mise en place d’un "premier échelon de secours". La pratique du secret médical n’y est pas une valeur. La formation est tournée vers l’acquisition d’unités de valeurs nécessaires à la promotion personnelle plus que vers la mise en commun de connaissances bénéfiques à la personne secourue. La forme même de pédagogie d’imitation ne stimule pas la recherche individuelle. Tout oppose donc ces deux cultures et il est contre nature de vouloir les faire cohabiter. Seul l’argument économique peut encore être avancé. Il ne résiste pas à un examen sérieux, mais des directions hospitalières focalisées sur le compte d’exploitation axé sur la TAA, en l’absence d’une visibilité sur le financement des MIGAC, en particulier pour l’urgence peuvent être abusées par cette fausse économie.
     
  3. Enfin, les compétences territoriales ne concordent plus, les SAMU sont d’ores et déjà sur des concepts régionaux synergiques entre régulations départementales alors que les SDIS restent à stricte compétence départementale.

QUELLES LEÇONS PEUT-ON TIRER DE CE BILAN POUR LE MOINS MITIGÉ ?

La plateforme clermontoise

Elle fut créée pour réagir à un état de crise immobilière des deux services. L’hôpital n’ayant pas décidé de loger correctement son SAMU, la seule solution a été de rechercher des alliances hors hôpital. Il en fut de même du SDIS à l’époque. La structure unique ne s’appuyait pas - et ne s’appuie toujours pas - sur un projet de réponse unique à l’urgence, mais bien sur le rapprochement d’intérêts des deux services qui entendaient conserver leurs identités respectives et mettre dans une sorte de communauté ce qui pouvait être synergique.Le principal avantage, à une époque où les technologies de l’information et de la communication n’étaient que balbutiantes, fut l’échange instantané des informations à travers une interface humaine.

Dans l’état actuel de crise opposant une conception anglosaxonne du prompt secours à la distribution des secours et soins raisonnée et bénéficiant de la régulation médicale qui en assure l’efficience et la qualité, réagir en fusionnant de force et sans projet unique des structures dont la culture et l’approche sont aussi radicalement différentes serait une erreur grave : la communauté d’analyse est la condition sine qua non avant même l’évocation d’un tel projet. En outre les deux services doivent être solidement soutenus par leurs administrations respectives.

Partir dans une structure commune en état de faiblesse crée les conditions d’une dépendance vis-à-vis du partenaire, et par conséquence de la sujétion à sa culture et à son idéologie. Dans le cadre de la réforme hospitalière, l’attitude du Ministère de la Santé, qui peut soutenir les SAMU ou les abandonner à la culture du prompt secours incoordonné, conditionnera l’évolution de toute la partie urgences de la politique de santé française.
Les plateformes communes ne peuvent être un remède à une crise de conception de l’urgence.

L’engagement moral des "promoteurs" de l’époque

Il a été très fort et convergent, mais ne pouvait tenir lieu de culture pour les deux services. L’incapacité à concrétiser un fonctionnement unique dans un texte unique, véritable "constitution" de la plateforme unique, montre bien que la convergence des cultures est impossible. En tout cas ce "vide juridique" créa les conditions de non pérennité des principes fondateurs, et des errances qui s’ensuivirent.

En effet les opérateurs n’ont aucun texte opposable auquel se référer pour cadrer leurs action au quotidien, dès lors le règlement de manoeuvre et les procédures de régulation 15 s’appliquent respectivement, et ce n’est pas la convention "SAMU-SDIS-Ambulanciers" qui vient combler ce vide.
 
Faute de texte de référence l’évaluation ne peut se baser que sur du ressenti et non des objectifs énoncés au préalable.

Une politique d’amélioration de la qualité n’est pas plus possible, faute de base d’objectifs de départ et de description de procédures. L’inexistence de procédures écrites communes rend impossible leur amélioration !

Les plateformes doivent avoir un fonctionnement cadré dans un texte unique élaborant une doctrine unique. Celle-ci doit précéder l’étape de rapprochement des services et devrait coïncider avec une politique nationale de l’urgence univoque.

L’évolution des technologies et de la société

L’actuelle explosion des technologies de la communication, la coordination à l’échelon de la Région des politiques de soins rend inutile la proximité physique des services, à laquelle il faut préférer un échange très large et précis des données, basé sur un protocole d’intervention univoque. L’actuel "standard téléphonique" fait place à la technologie des "call-centers" qui traite intelligemment l’information en associant téléphonie et informatique. La mutualisation des informations est concevable à l’échelle des Régions, seule taille raisonnable, le Département étant décidément trop petit et trop particulier à l’heure de l’Europe des Régions.

Les situations sanitaires ont fortement évolué au cours des deux décennies passées. La traumatologie routière a régressé dans de fortes proportions grâce aux mesures énergiques de sécurité routière. De même le principe de précaution largement appliqué à la sécurité dans les installations recevant du public, sportives en particulier, diminue d’autant les motifs de recours aux secours. Dans le même temps des risques nouveaux, épidémiques par exemple, émergent et appellent une réponse qui sollicite des connaissance médicales spécifiques étendues. La réponse "de premier niveau" n’est plus rationnelle, l’expertise médicale représentée par la régulation médicale doit être placée au centre du dispositif si on veut éviter une catastrophe sanitaire.

L’évolution sociétale autant que la démographie médicale ont créé la crise de la permanence des soins. D’un côté les usagers veulent une réponse quasi immédiate à leurs besoins de santé exprimés dans l’urgence, d’autre part les professionnels souhaitent un mode d’exercice conforme aux normes actuelles de vie en France. La convergence de ces deux objectifs divergents impose aussi une régulation médicale souple et efficace garantissant la sécurité pour les situations les plus graves et le conseil médical sécurisé pour les situations bénignes.

On voit bien qu’il s’agit de la prise en charge sanitaire de la population dans toutes les circonstances, traumatiques ou médicales, de la plus simple à la plus bénigne. Or il s’agit bien là d’exercice de la médecine, qui ne peut, (à moins de remettre en cause le monopole d’exercice de la médecine), qu’être réalisé par des médecins. Si des services viennent s’y associer, cela nécessite la rédaction de procédures claires, nationales, opposables à tous, qui dépassent les cultures spécifiques de ces services.
Un outil de gestion de l’information unique, basé sur une politique nationale de santé doit être le moyen de communication exclusif si une plateforme est mise en place.

Les hommes

Le comportement des hommes est l’élément clé du fonctionnement au quotidien. Un outil unique de traitement de l’information, une procédure de traitement de l’appel pour secours à personne univoque et basée sur une politique de santé nationale orientent fortement ce compor-tement des opérateurs, à condition que cela existe. Ces outils une fois élaborés, il est évident qu’une formation commune des opérateurs est nécessaire. Elle dépasse la FAE des Permanenciers de SAMU ou le TRS2 des stationnaires. Il s’agit bien d’une formation initiale, puis d’une formation continue.
Compte tenu de la diversité des sujets et techniques à maîtriser, la durée de formation plaide pour une "professionnalisation" de la fonction d’opérateur, en totale contraction avec la doctrine de mobilité des Sapeurs Pompiers. Il faut en effet garder les opérateurs assez longtemps pour profiter de la richesse réelle qu’apportent l’expérience, voire l’expertise d’un long exercice profes-sionnel dans ce cadre.
Comme le métier de Permanencier est un métier nouveau dans l’hôpital, on peut dire que celui d’opérateur de plateforme médicosociale d’urgences est à créer, avec sa définition, son rattachement organique et hiérarchique, sa formation et son évaluation professionnelle (EPP !).

Les plateformes nécessitent une formation spécifique et adaptée, commune à tous les personnels qui y travaillent, suivie d’une formation continue et accompagnée d’une évaluation des pratiques professionnelles.

CONCLUSION

Ainsi que ces quelques pages l’expriment, il y a loin de la coupe aux lèvres et la mise en place de plateformes uniques 15-18 ne suffirait pas à répondre aux actuelles difficultés de réponse de notre société à la problématique de l’urgence qui est non seulement traumatique ou médicale mais aussi souvent sociale. La différence, voire l’opposition des cultures s’oppose en fait à une cohabitation sereine des deux services, même si elle peut être temporairement favorisée par la concorde entre les hommes ou une communauté provisoire d’intérêts. Tant qu’une analyse unique, essentiellement médicale et sociale des urgences sanitaires n’est pas adoptée dans notre pays, les plateformes uniques risquent de créer une façade à l’apparence harmonieuse derrière laquelle les concepts opposés n’aboutiront qu’à une qualité dégradée des soins. Cette approche cosmétique ne peut traiter le fond du problème. Il est de loin préférable de veiller à une cohérence des actions par des procédures communes et à un excellent échange d’informations par l’usage des technologies les plus modernes que de s’imposer une cohabitation subie et sans signification.
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