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Time is what we make of - Le temps, c'est ce que nous en faisons

Publié le 22/12/2019
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Claret PG, Gauss T, Bouzat P. Time is what we make of it. Anaesth Crit Care Pain Med. 2019;38(6):589–590. doi: 10.1016/j.accpm.2019.10.003
Traduit avec l’autorisation de M. le Pr J.-Y. Lefrant, éditeur en chef de Anaesthesia Critical Care and Pain Medicine.

 

Le temps, c'est ce que nous en faisons

Pendant longtemps, le débat sur les systèmes d'urgence a fait l'objet d'une controverse autour de concepts tels que le « scoop and run » ou l'opposition entre des prises en charge préhospitalières paramédicalisées et médicalisées, en particulier en traumatologie. Une importante littérature provient des systèmes paramédicalisés, en particulier en Amérique du Nord [1]. Les prises en charge préhospitalières médicalisées, principalement mises en œuvre en Europe continentale, la France étant pionnière, ont été étudiées dans une moindre mesure. Le débat qui s'ensuit, en comparant les deux systèmes (paramédicalisé vs médicalisé), est souvent passionné et se concentre sur une question centrale : l'influence du temps préhospitalier sur les résultats des patients [2]. Pour les défenseurs des prises en charge préhospitalières paramédicalisées, le « scoop and run » semble être le seul dogme acceptable, convaincu que les prises en charge préhospitalières médicalisées ajoutent une complexité inutile à une situation déjà difficile et prolongent les périodes préhospitalières avec des conséquences délétères pour les patients. Les partisans de la médicalisation préhospitalière pensent eux qu'une prise en charge intensive et avancée permet de contrôler plus précocement les défaillances. Cette controverse à l'esprit, il est important de se rappeler que tous les systèmes et concepts ont grandi et évolué dans leur contexte politique, sociohistorique et économique spécifique. Souvent, les stratégies cliniques sont davantage déterminées par le contexte que par les données probantes [3]. Pour cette raison, il est sans doute futile de comparer différents systèmes les uns aux autres. Tous ont des avantages et des inconvénients distincts et ils ne peuvent être détachés de leur environnement. En contradiction avec les prises en charge préhospitalières paramédicalisées, des données de la littérature sont faveur des prises en charge médicalisées [4, 5]. D’anciens systèmes paramédicalisés évoluent également pour intégrer de plus en plus de composantes médicales. Cette évolution est en partie due à l'expérience des conflits armés en Afghanistan, en Irak, et à la nécessité de disposer d'équipes de soins avancés améliorés (British MERT ou équivalent du US Marine Corps). Au lieu de comparer une organisation à une autre, il apparaît crucial d'étudier chaque organisation dans son contexte spécifique. La différence entre un dogme et une hypothèse scientifique, c'est qu'une hypothèse doit se vérifier dans des contextes différents. Le dogme du traumatisme en tant que pathologie sensible au facteur temps a été transposé des prises en charge préhospitalières paramédicalisées à des systèmes très différents, y compris des systèmes médicalisés. Il était temps d'étudier ce dogme dans un système de prises en charge préhospitalières médicalisées.

C'est la raison d'être de l'étude "Association of prehospital time to in-hospital trauma mortality in a physician-staffed emergency medicine system" publiée en septembre dans JAMA Surgery [6]. Ce travail a permis de vérifier l'hypothèse selon laquelle des prises en charge préhospitalières médicalisées longues étaient associées à une augmentation de la mortalité intrahospitalière chez les patients traumatisés. Cette étude de cohorte, basée sur les registres de traumatologie de la région Parisienne et Rhône Alpes, a été réalisée de 2009 à 2016. Tous les patients adultes traumatisés admis dans un centre de traumatologie participant ont été pris en charge par une équipe médicalisée (Service Aide Médicale d'Urgence, SMUR) et régulée (Service d'Aide Médicale Urgente, SAMU). L'association entre la durée de la prise en charge préhospitalière et la mortalité intrahospitalière a été évaluée à l'aide d'un modèle multivarié ajusté en fonction de facteurs de confusion. Au total, 10 216 patients ont été inclus. L'âge moyen des patients était de 41 ans (écart-type = 18) et la population était de 7 937 hommes (78 %). Le mécanisme prédominant était un traumatisme non pénétrant (91 %), le score ISS moyen était de 17 (14). 1 259 patients (12 %) étaient en état de choc et 2 724 (27 %) ont subi un traumatisme crânien grave. La probabilité de décès augmentait de 9 % pour chaque augmentation de 10 minutes du temps préhospitalier avant (RC = 1,09 ; intervalle de confiance à 95 % :[1,07-1,11]) et de 4 % après ajustement sur les facteurs de confusion (RCa = 1,04[1,01-1,07]). Contrairement aux études antérieures, après ajustement pour tenir compte des facteurs confusionnels, l'association entre le délai préhospitalier et la mortalité inhospitalière liée aux traumatisés crâniens et aux hémorragies n'était pas significative.

Ces résultats ont été interprétés par de nombreux acteurs de la médecine d’urgence et des soins critiques comme une remise en question des prises en charge préhospitalières médicalisées. Bien qu'une telle conclusion puisse se comprendre, ce n'était ni l'objectif ni l'hypothèse de l'étude. Dans les limites de la recherche observationnelle de cohortes importantes, l'étude identifie le temps comme un élément crucial de la prise en charge préhospitalière pour les patients traumatisés graves, quel que soit le système, y compris un système géré par des médecins préhospitaliers. Au lieu de nourrir un débat trompeur sur les différentes organisations et de simplifier à outrance ces différents concepts pour les opposer, les auteurs de cette étude proposent de passer d'un débat infructueux à un nouveau concept, le rapport intervention/temps. Ce rapport est spécifique à chaque patient et à chaque situation préhospitalière. Le temps est important, mais ce qui compte, c'est la façon dont ce temps est utilisé et quelles interventions sont effectuées dans un laps de temps donné et dans un contexte donné [7]. Par exemple, les patients atteints d'un traumatisme thoracique pénétrant et hémorragique peuvent n'avoir besoin que de deux interventions tels la décompression et l'acide tranexamique, puis bénéficier d'un transport rapide vers un centre approprié. D'autres patients, comme ceux qui souffrent d'un traumatisme crânien, ont besoin d'une stratégie plus complexe, car leurs besoins physiologiques ainsi que le temps et les conditions de transport exigent un niveau de soins plus élevé. Choisir le rapport qui semble le mieux convenir à leur patient dans une situation donnée est le défi quotidien que tous les cliniciens, médecins et paramédicaux préhospitaliers doivent relever, peu importe le système dans lequel ils opèrent. L'équipe préhospitalière est appelée à utiliser ce temps préhospitalier pour modifier les soins du patient et apporter une valeur ajoutée que seuls des cliniciens experts peuvent apporter. Parfois cela signifie transporter, parfois rester sur place, mais ce défi du temps ne doit pas être minimisé. De plus, le temps est le résultat d'interactions complexes, telles que l'accès au patient, les conditions de transport et le vecteur, l'accès à des centres spécialisés. Pour ces raisons, les résultats de l’étude appellent tous les acteurs de la traumatologie, préhospitaliers et inhospitaliers, à rationaliser davantage les prises en charge afin d'identifier, grâce aux futures recherches, ce qui est bénéfique pour nos patients. Certains systèmes sont dotés de personnel médical, d'autres de personnel paramédical. La question n'est pas de savoir qui fournit les soins, mais si les soins fournis sont opportuns, appropriés et efficaces. Le débat sur les systèmes médicaux ou paramédicaux est stérile et la communauté traumatologique devrait prendre une longueur d'avance et laisser cette question de côté pour se demander quelles interventions préhospitalières sont cruciales. La communauté des médecins urgentistes préhospitaliers en France est au premier rang pour apporter une contribution novatrice et importante à cette problématique. La France a la possibilité d’offrir à ses citoyens un SAMU et un SMUR dotés de médecins et de soignants de grande qualité. Les travaux de Gauss et al. ne présentent aucune donnée permettant de remettre en question cette chance.

Conflit d'intérêts

T. Gauss et P. Bouzat sont les auteurs de l'article commenté [6]. Les autres auteurs déclarent qu'ils n'ont pas d’autre conflit d’intérêts.

Références

[1] Sampalis JS, Denis R, Lavoie A, et al. Trauma care regionalization: a process-outcome evaluation. J Trauma. 1999;46(4):565-579

[2] Rogers FB, Rittenhouse KJ, Gross BW. The golden hour in trauma: dogma or medical folklore? Injury. 2015;46(4): 525-527. doi:10.1016/j.injury.2014.08.043

[3] Kelly MP The need for a rationalist turn in evidence- based medicine.Eval Clin Pract. 2018 Oct;24(5):1158-1165. doi: 10.1111/jep.12974

[4] Knapp J, Häske D, Böttiger BW, Limacher A, Stalder O, Schmid A, et al. Influence of prehospital physician presence on survival after severe trauma: Systematic review and meta-analysis. J Trauma Acute Care Surg. 2019 Oct;87(4): 978-989

[5] Fukuda T, Ohashi-Fukuda N, Kondo Y, Hayashida K, Kukita I. Association of prehospital advanced life support by physician with survival after out-of-hospital cardiac arrest with blunt trauma following traffic collisions: japanese registry-based study. JAMA Surg 2018 Jun 20;153(6):e180674

[6] Gauss T, Ageron FX, Devaud ML, Debaty G, Travers S, Garrigue D, et al. Association of prehospital time to in- hospital trauma mortality in a physician-staffed emergency medicine system. JAMA Surg 2019 (in press)

[7] Maegele M. In Acute Trauma Care, Time Matters but Is not Everything. JAMA Surg. 2019 Sep 25. doi: 10.1001/ jamasurg.2019.3476

Pierre-Géraud Claret, MD, PhD (a) Tobias Gauss, MD, PhD (b)
Pierre Bouzat , MD, PhD (c)*
(a) Department of anaesthesia, intensive care, pain and emergency, Nîmes University Hospital, place du Professeur- Robert-Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France
(b) Department of Anaesthesia and Intensive Care, Beaujon Hospital, hôpitaux-Paris-Nord-Val-De-Seine, AP–HP, 92110 Clichy, France
(c) Grenoble Alps Trauma centre, Grenoble Alps University, Grenoble University Hospital, 38000 Grenoble, France

* Auteur correspondant
E-mail address: : PBouzat@chu-grenoble.fr (P. Bouzat).

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